Selon une idée fort répandue, De Gaulle serait "le père" de la sécurité sociale en France. Si le Général a effectivement promulgué les textes instaurant le dispositif actuel de sécurité sociale, ce dernier trouve ses racines juridiques dans les premières années de la Révolution française.
Des secours publics à la charité individuelle
Les pouvoirs publics n'ont pas attendu le milieur du 20ème siècle pour intervenir en matière sociale. A la fin du 18ème siècle, les révolutionnaires français, motivés par des considérations d'ordre politique et philosophique, posèrent les jalons de la législation sociale en France. En 1794, la Convention nationale adoptait un décret (décret du 22 floréal an II) prévoyant la création d'un "Livre de la bienfaisance nationale", lequel permettait aux citoyens dont le nom y était transcrit de bénéficier d'un secours. Ce dispositif, instauré sous l'impulsion de Barère, qui avait affirmé que "dans une démocratie, tout doit tendre à élever chaque citoyen au-dessus du premier besoin, par le travail s'il est valide, par l'éducation s'il est enfant, et par les secours s'il est invalide ou dans la vieillesse", allait rapidement décevoir les attentes qu'il avait suscitées.
Accaparés par les difficultés politiques, économiques et diplomatiques, les premiers républicains ne disposaient pas des moyens nécessaires à la concrétisation de leurs ambitions en matière de progrès social. Cependant, d’un point de vue théorique, la période est maquée par une rupture considérable : pour la première fois, le constituant met à la charge de la collectivité une obligation envers les personnes qui se trouvent dans le besoins. En effet, l’article 21 de la Constitution du 24 juin 1793 prévoyait que « les secours publics sont une dette sacrée. La société doit la subsistance aux citoyens malheureux, soit en leur procurant du travail, soit en assurant les moyens d’exister à ceux qui sont hors d’état de travailler ». L’idée de sécurité sociale est ici sous-jacente puisqu’il s’agit de fournir à la personne qui se trouve dans l’impossibilité de vivre de son travail, une indemnisation. La Constitution du 22 août 1795 revient largement sur ce principe et se contente de renvoyer à la charité de tous suivant la maxime consacrée par l'article 2 de ses Devoirs : « Faites constamment aux autres le bien que vous voudriez en recevoir ».
Du libéralisme aux assurances sociales
Le 19ème siècle sera marqué par une faible intervention de l’Etat dans la sphère sociale, à l’exception notable mais éphémère de la Seconde République dont la Constitution (Constitution du 4 novembre 1848) proclamait que la nation « doit, par une assistance fraternelle, assurer l’existence des citoyens nécessiteux, soit en leur procurant du travail dans les limites de ses ressources, soit en donnant, à défaut de la famille, des secours à ceux qui sont hors d’état de travailler » (article VIII du Préambule). Malgré cette parenthèse, le libéralisme prône une abstention des pouvoirs publics en matière sociale. Adolphe Thiers ira même jusqu’à affirmer que « reconnaître aux pauvres un droit à l’aumône c’est les autoriser à exiger l’aumône par la force ; c’est anéantir le droit de propriété et marcher à la communauté des biens ».
Ce n’est qu’à la fin du 19ème siècle, sous la Troisième République, qu’un véritable système de sécurité sociale va être mis en place. S’inspirant du principe de la mutualisation des risques sociaux, le législateur décide d’instaurer en France un mécanisme largement influencé par la législation promulguée par le chancelier allemand Otto von Bismarck entre 1883 et 1889. Après un long travail préparatoire et l’adoption de plusieurs textes catégoriels, la loi du 30 avril 1930 instaure un régime général de sécurité sociale à destination des travailleurs salariés.
A l’aube de la Seconde guerre mondiale, la France dispose donc d’un véritable mécanisme de sécurité sociale dont l’application se heurtera à un certains nombre de difficultés pratiques. Durant la Guerre, le 15 mars 1944, le Conseil national de la Résistance (CNR) adopte un programme d’action prévoyant « un plan complet de sécurité sociale, visant à assurer à tous les citoyens des moyens d’existence, dans tous les cas où ils sont incapables de se le procurer par le travail, avec gestion appartenant aux représentants des intéressés et de l’Etat ».
L’ordonnance n° 45-2250 du 4 octobre 1945 portant organisation de la sécurité sociale, signée par le Général De Gaulle, décline en droit français les principes arrêtés par les membres du CNR. Ce texte réorganise le système des années 1930 en lui ajoutant une caractéristique essentielle : la gestion du dispositif par les représentants des assurés sociaux, c'est-à-dire les organisations syndicales de salariés et d’employeurs.