255 000 ruptures conventionnelles conclues en 2010, déjà 137 000 au premier semestre de l'année 2011 (Etude de la Dares publiée le 12 octobre 2011). La montée en puissance de ce nouveau mode de rupture du contrat de travail à durée indéterminée ne semble pas s'infléchir.
La rupture conventionnelle résulte de la volonté des partenaires sociaux de "sécuriser les conditions dans lesquelles l'employeur et le salarié peuvent convenir en commun des conditions de la rupture du contrat de travail qui les lie" (Acc. nat. inter. du 11 janvier 2008, art. 12, a.). Le législateur s'est ensuite saisi de cet accord pour le transposer dans la loi (Loi n° 2008-596 du 25 juin 2008). Les dispositions relatives à la rupture conventionnelle figurent désormais aux articles L.1237-11 à L.1237-16 du code du travail.
L'engouement pour ce nouveau mode de rupture n'a pas occulté les interrogations qu'il continue à susciter. En premier lieu, pourquoi ? Pourquoi avoir instauré de nouvelles modalités de cessation des relations contractuelles de travail ? En second lieu, quelles sont les avantages et les garanties offertes par ce dispositif ? La rupture conventionnelle ne risque-t-elle pas d'être utilisée comme un moyen de contourner les procédures complexes et protectrices imposées par le code du travail ? Enfin, l'employeur bénéficie-t-il d'une réelle sécurité juridique en utilisant ce type de rupture des relations contractuelles ?
De la flexisécurité au pillage de Pôle empoi ? La rupture conventionnelle s'inscrit dans le cadre des réflexions menées en France sur la modernisation des relations du travail (la "flexisécurité à la française"). L'objectif du mécanisme est double : assouplir les rapports contractuels entre l'employeur et le salarié, tout en garantissant à ce dernier un minimum de protection. L'idée portée par les partenaires sociaux à donc consister à fonder la rupture du contrat sur l'accord des parties. Jusqu'à la loi du 25 juin 2008, les parties pouvaient convenir d'un commun accord de rompre le contrat de travail. Toutefois, le risque était double : non seulement, ce type de rupture ne garantissait pas l'employeur contre un éventuel litige portant sur les conditions de la cessation du contrat, mais en outre le salarié ne pouvait prétendre à aucune indemnité versée par l'entreprise, ni allocation de l'assurance chômage. L'accord nationale interprofessionnel de 2008 et le législateur ont donc entrepris de créer un cadre juridique ad hoc.
Les articles L.1237-11 et suivants du code du travail permettent donc à l'employeur et au salarié de rompre le contrat d'un commun accord. Le salarié aura alors droit à une indemnité spécifique au moins égale à l'indemnité légale de licenciement (voire à l'indemnité de licenciement prévue par la convention collective applicable) et pourra bénéficier des allocations servies par l'assurance chômage. De son côté, l'employeur sécurise la rupture grâce au caractère consensuelle de celle-ci, mais également grâce à un délai de contestation réduit à un an et à l'homologation de l'administration.
Les principales critiques qui se sont levées suite à l'institution de la rupture conventionnelle concernent l'indemnisation par Pôle emploi. En effet, en principe, l'assurance chômage est réservée aux personnes ayant été privées involontairement de leur emploi ou celles contraintes de démissionner pour des motifs dits "légitimes" (ex. : mutation géographique du conjoint). Or, la rupture conventionnelle permet au salarié d'être indemnisé alors qu'il a lui-même consenti à la cessation de son contrat. Jusqu'à présent le risque d'un "pillage" de Pôle emploi semble avoir été évité car le recours à la rupture conventionnelle demeure limitée par la nature consensuelle du mécanisme : si l'employeur refuse de consentir à la rupture, celle-ci n'aura pas lieu et le salarié devra démissionner.
Soulignons enfin que la rupture conventionnelle ne doit pas être confondue avec la transaction. Cette dernière ne peut être conclue qu'à l'issue de la relation contractuelle : selon l'article 2044 du Code civil, la transaction est un contrat par lequel les parties terminent une contestation née, ou préviennent une contestation à naître. L'objet de la transaction consiste donc en l'abandon de toute procédure par le salarié en contrepartie de concession, le plus souvent financière, de l'employeur.
Rupture conventionnelle : mode d'emploi. La loi du 25 juin 2008 a instauré une procédure de rupture particulière. En premier lieu, les parties doivent se rencontrer à l'occasion "d'un ou plusieurs entretiens" (art. L.1237-12). Aucun formalisme n'est imposé en vue de ces réunions durant lesquelles le salarié peut se faire assister par un salarié appartenant au personnel de l'entreprise ou, s'il n'y a pas d'institution représentative du personnel, par conseilleur du salarié. Si le salarié choisit d'être accompagné, l'employeur pourra lui-même être assisté. Au cours de ces entretiens, le salarié recevra toutes les informations nécessaires pour faire le choix ou non de la rupture.
Si le principe de la cessation des relations contractuelles est acté, les parties vont rédigées une convention de rupture (le formulaire Cerfa suffit) laquelle devra prévoir une indemnité spécifique de rupture et sa date d'entrée en vigueur (au plus tôt le lendemain de l'homologation). Une fois la convention signée, l'employeur et le salarié disposent d'un délai de rétractation de 15 jours calendaires durant lequel l'un ou l'autre peut revenir librement sur son consentement. A l'issue de ce délai, la convention est envoyée à l'administration (DIRECCTE) pour homologation. L'administration dispose de 15 jours ouvrables pour homologuer la rupture. Si aucune décision n'est rendue, la convention est réputée homologuée à l'issue de ce délai de 15 jours. Homologuée, la convention peut prendre effet.
Des garanties sauvegardées. Afin d'éviter que la rupture conventionnelle ne soit utilisée pour contourner les procédures plus protectrices du droit du travail, la loi et l'administration ont posé un certain nombre de limites à l'utilisation de ce mode de rupture.
En premier lieu, la rupture conventionnelle "ne peut être imposée à l'une ou l'autre des parties" (art. L.1237-11). Si telle était le cas, la convention pourrait être annulée.
Par ailleurs, lorque le salarié concerné est un "salarié protégé", c'est-à-dire disposant d'un mandat de représentant du personnel, de responsable syndical ou de conseiller prud'homal, la convention de rupture ne sera pas soumise à homologation mais à autorisation de l'inspection du travail (art. L.1237-15).
En outre, la rupture conventionnelle ne peut être utilisée dans le cadre d'un plan de sauvegarde de l'emploi ou en application d'un accord sur la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (art. L.1237-16). L'employeur ne peut donc pas s'affranchir des règles protectrices prévues en cas de licenciement pour motif économique et ne peut s'exonérer des obligations figurant dans un accord sur la GPEC en ayant recours à la rupture conventionnelle (Instr. DGT n° 02 du 23 mars 2010). De plus, l'administration rappelle que la rupture conventionnelle ne peut être utilisée pour rompre le contrat de travail dans les cas de suspension pour lesquels la rupture est encadrée par la loi (Circ. DGT n° 2009-04 du 17 mars 2009) : il paraît donc impossible d'utiliser le nouveau dispositif pour rompre le contrat d'un salarié accidenté du travail, d'une femme enceinte ou encore d'une personne déclarée inapte par la médecine du travail.
Enfin, le législateur n'a pas fermé toute possibilité de contentieux relatif à l'application ou à la validité de la convention de rupture. La loi se contente de limiter le délai de recours à douze mois à compter de l'homologation (art. L.1237-14). Précision que tous les litiges concernant la rupture conventionnelle ou le refus d'homologation sont portés devant le conseil de prud'hommes.
La rupture conventionnelle s'est imposée comme une alternative au licenciement, à la démission et aux ruptures d'un commun accord. Elle permet de mettre fin à la relation contractuelle dans un cadre sécurisé et favorable aux deux parties sans mettre à bas les garanties légales propres à certaines situations.